Message à Nirvananight - 05/07/2011 16h32

Réponse à mon pote Nirvananight

Nirvananight: Je t’écris donc ici mes plus plates excuses concernant cet écart de conduite qui, je me répète, n’avait aucune mauvaises intentions. J’ai vraiment voulu t’aider pour tes autres tournois et je suis concient que je n’ai fait que te mettre dans de mauvaises conditions pour aborder la suite des évènements.
Je t’avouerais également que je me sens du coup pas mal responsable et redevable sur ce qui s’est passé et ne sais trop comment me faire pardonner… faire passer quelqu’un à coté de d’un évenement pareil… that sucks ! (je sais juste pas quoi dire d’autre sorry).



Becari: Tu n’es redevable de rien. Si je t’en voulais pour quoi que ce soit, je l’aurais écrit ouvertement. J’ai d’ailleurs écrit en fin de billet: « écrit sans aucune rancune ».

J’avoue que j’ai eu du mal à trouver moi-même les mots au bon moment pour te faire passer ma manière de voir les choses. Si j’avais jeté mes pensées par écrit à ce moment là, la seule chose qui serait arrivée, eut été un clash. Du coup, j’ai préféré me taire…

Djé a su sans crier gare pondre un texte abordant le sujet de manière très constructive, et cela a été révélateur pour moi.

D’ailleurs tu peux me relire, j’ai écrit posément que j’avais compris ta démarche, et même si celle-ci était inopportune (à ce moment là), elle n’était pas mal intentionnée.

Par ailleurs, et grâce à toi, j’ai également mis le doigt sur un aspect sur lequel je dois indéniablement progresser. Je me cite dans l’article de base:

« Je dois absolument apprendre à gérer mes émotions et mes ressentis extérieurs. En effet, plusieurs fois des soucis qui n’ont rien à voir avec le jeu, sont venus me plomber le cerveau et diminuer clairement mon énergie de concentration vis à vis du jeu. Ces soucis parasitaires m’ont clairement encombrer le cerveau, et je ne suis pas toujours parvenu à en faire abstraction… A méditer. »

Je n’irais pas jusqu’à te dire merci… LOL

Mais bon… c’est important quand même.

J’apprécie en tout cas ce mea culpa… (sans avoir « bon » comme tu le dis)…

Parce que tu es certainement un des plus grands potentiels du poker que je connaisse, et ce serait vraiment dommage de le gâcher pour de mauvaises raisons.

Cette dernière phrase nécessite néanmoins une explication… (quand pourrais je écrire en 10 lignes ce que je pense bon sang?).

Tu es sans nul doute sur une pente vertigineusement ascendante de progression. Tu travailles beaucoup pour ça, et en recueille justement et méritoirement les fruits, que ce soit d’un point de vue résultats, ou d’un point de vue reconnaissance des autres (cf les promos sur Poker Strategy). Tout le monde est d’accord sur ça.

Cependant, tout ne coule pas toujours de source… et encore moins dans le poker.

Les périodes moins « fastes » viendront… Je te le jure. Aucun joueur, si grand ou talentueux soit-il, n’a encore réussi à résoudre l’énigme du poker.

Toutes les stars du jeu connaissent à un moment ou un autre une période noire.

Et à ce moment là, il est très important de ne pas être isolé.

Hors, à cause d’interventions parfois malencontreuses, maladroites ou suffisantes (au moment où un joueur domine son sujet), il peut très bien s’attirer l’antipathie des autres.

Et quand vient le moment où il a besoin de soutien moral, et bien ses supporters agacés ne sont plus là.

Être humble dans la défaite ou dans la crise morale, c’est somme toute assez facile… (quoique).

Être humble dans la victoire, là c’est un art…

Et si je me permets d’écrire cela, c’est parce que quelque part je me reconnais en toi (avec une dizaine d’année de maturité en plus).

C’est en effet un constat plus intimiste que j’ai posé durant mon périple aux Etats Unis.

Se sentir bien sans être trop sûr de soi.

Être posé dans ce que l’on écrit, ou ce que l’on pense des autres.

S’occuper de ses propres problèmes avant de mettre le nez dans ceux du voisin.

Dans ce cadre, je ne résiste pas à te livrer quelques extraits du constat plus intimiste que j’avais rédigé pour moi-même le jour de la consécration de Fabrice Soulier aux WSOP.

« Voilà une petite heure que j’ai été éliminé de l’Event 43 à 1500$ des WSOP 2011.

Ce dernier tournoi aura été à l’image de l’ensemble de mon séjour. Départ difficile, embellie, puis déconvenue apparemment inévitable.

En reprenant ma voiture sur l’immense parking du Rio tout à l’heure, et en faisant la route vers l’appartement, m’est apparue en fond de paysage, entre les lumières du Caesar Palace et du Bellagio, l’image de Fabrice Soulier au volant de sa voiture, dans l’excellent documentaire « That’s Poker » de Martin Delpierre.

Je repense à toute la détresse de ce joueur exceptionnel, qui cette année là enchaînait les tournois sans aucun succès, devant jouer en cash game la nuit dans d’obscurs casinos pour assurer ses buy-ins les lendemains.

Qui suis-je ? Qu’ai-je et que veux-je dans la vie ?

Je suis un homme de 33 ans (un an de plus qu’il y un an…joli calcul), marié à une femme exceptionnelle, propriétaire d’une superbe maison et de deux toutous hyper sympas, entrepreneur, et en quête d’une future paternité…

Cette phrase, je l’ai écrite il y a un an… avant que les sirènes de la gloire ne me fassent replonger dans le poker…

Les dollars qui étaient sur Pokerstars début septembre 2010, étaient les derniers. J’avais fait vœux de ne plus déposer. Puis, se sont succédés les performances et les gains…

Ensuite, est arrivé Poker 770 qui m’a fait l’honneur de me recruter pour sa Team alors que je n’avais rien demandé.

Près de 50.000$ de gains en 4 mois, l’accès à une Team Pro… Mais enfin que s’est-il passé ?

Moi qui n’en voulait pas, ou plutôt qui n’en voulait plus… Voilà que le poker, en tant que jeu, revient me chercher, titillant mes 4 pêchés capitaux personnels… (Thomas D’Aquin les appelaient plus communément des « vices »).

Que ce soit mon orgueil, mon envie, ma gourmandise ou ma paresse, les démons Lucifer, Léviathan, Belzébuth et Belphégor sont à nouveau entrés en moi pour entretenir le rêve.

Les laisser s’incruster était une énorme erreur.

En effet, ces démons sont de très mauvais guides, et conduisent les esprits non-avertis à une perte quasi-certaine. Quand je lis sur facebook que des jeunes joueurs ont débarqué hier ou aujourd’hui à Vegas en disant qu’ils seront, soit riches, soit brokes dans trois semaines, cela me fait peur pour eux.

Facile d’écrire ça après avoir fait la même chose depuis début juin… Mais bon… Quand on se retrouve au fond de l’abîme, il est difficile de tomber plus bas…

Et c’est souvent là que l’on peut réfléchir posément.

Et j’en reviens à Fabrice Soulier… Parce que je pense qu’il est le plus bel exemple à
suivre pour tout joueur de poker qui a envie de vivre de sa passion.

Ce ne sont pas des démons qui ont guidé son chemin vers l’ultime consécration. Ce sont des vertus.

Le courage, la prudence, l’humilité, la patience, la discipline, la tempérance, l’honnêteté et la générosité sont autant de qualités qui ont amené cet homme à s’accomplir.

Ce n’est pas un être arrogant qui est monté sur scène pour recevoir devant des milliers de personnes sa consécration. Non… C’est un gars simple, hésitant, et presque timide qui a reçu son trophée sous les acclamations du public.

Pendant la marseillaise qu’ont reprise en cœurs ses nombreux compatriotes présents au pied du podium, c’est de l’émotion que l’on pouvait lire dans le regard de Fabsoul.

Sans doute a-t-il vu défiler les années de difficultés et de galères générées par son choix de vivre de sa passion.

Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, c’est que personnellement, je suis à des lustres de cette sagesse. L’image de la solitude en voiture reste finalement le seul point comparable… »

Oui, j’étais atteint d’une scribite aigüe ce soir là…

Mais à me relire aujourd’hui, j’étais clairement dans le vrai. A-t-on jamais vu un Davidi (pour rester dans le belge) s’enorgueillir d’avoir gagné un tournoi en ayant défoncé la table.

L’a-t-on jamais vu déclarer ouvertement que les joueurs de sa table était très mauvais?

Parfois quand un journaliste, ou un proche lui tend la perche, il avoue à demi-mots ces états de fait.

Mais de manière personnelle, il reste concentré sur ce qu’il fait, et ne déclame ce genre de ressenti de manière ouverte et sans discernement.

As tu vu ce film avec Al Pacino (« L’avocat du diable »)?

« La vanité est décidément mon pêché préféré« …

Le poker c’est un tout. C’est de la technique (ton créneau), de l’expérience (le mien), et un mental solide, sain, et assorti d’humilité… (celui d’un Stefal ou d’un Davidi chez qui nous aurions beaucoup à apprendre l’un et l’autre)…

Enfin voilà… Je m’étais dit, il y a une demi-heure: « De grâce Julien, une petite réponse… puis je me prends au jeu… et ne peut m’empêcher d’aller au fond des choses »…

Et comme il faut bien terminer par quelque chose, sois certain que tu as tout le potentiel intellectuel d’un futur grand. J’en suis convaincu. Et si tu parviens à assortir ton mea culpa à un réel changement d’approche, mon petit doigt me dit que nous irons ensemble à Vegas l’année prochaine… Tu verras… Faire un léger debriefing en mangeant des glaces sur la terrasse à 3H du matin, ça a aussi du bon